dimanche 23 février 2014

Comment la France a sacrifié son école primaire

Comment la France a sacrifié son école primaire

Notre pays investit 6% de sa richesse dans l'éducation, mais de façon mal répartie. Notre école primaire reçoit 17% de moins que la moyenne OCDE, les lycées reçoivent 38% de plus.


Jean-Marc Ayrault et Vincent Peillon en visite à l'école élémentaire Danielle Gouze Mitterrand de Cluny (SIPA) Jean-Marc Ayrault et Vincent Peillon en visite à l'école élémentaire Danielle Gouze Mitterrand de Cluny (SIPA)


Vincent Peillon vient de décider l’attribution de 300 millions d’euros pour revaloriser les primes des enseignants des zones d’éducation prioritaires. Cela peut-il améliorer sensiblement les performances dans ce secteur ? On peut s’interroger quand on mesure l’ampleur du retard qui est à combler dans le traitement de nos enseignants comparés à nos voisins. Ce sont des chiffres mal connus du grand public, mais qui ressortent de façon frappante dans l’enquête "Regards sur l’Education" que publie tous les ans l’OCDE.
C’est une  formidable mine de données sur les systèmes éducatifs. On en parle beaucoup moins que de l’enquête PISA et elle mérite pourtant le détour. Tous les indicateurs concernant l’école primaire, l’enseignement secondaire, l’université et l’insertion dans une quarantaine de pays sont épluchés et comparés. Les derniers chiffres concernant la France ont été peu commentés. Est-ce parce qu’ils sont sortis fin juin 2013, à la veille de la trêve d’été ? Ou en raison de l’épaisseur de ce gros pavé de 452 pages ?
Premier constat de l’OCDE : malgré les revalorisations de 2011, les salaires des enseignants français du primaire et du secondaire sont nettement inférieurs à la moyenne OCDE, tant pour les débutants que pour les profs confirmés ayant 15 ans d’ancienneté. En outre, il faut 34 ans d’ancienneté pour atteindre l’échelon maximum en France contre 24 ans en moyenne dans les autres pays. Un prof du primaire gagne chez nous 11% de moins que la moyenne de ses collègues de l’OCDE.  Et il perçoit 75% de ce que gagnent globalement les diplômés de l’enseignement supérieur, contre 82% en moyenne dans l’OCDE. Surtout, la France est le seul pays - avec la Grèce et le Japon - dans lequel le salaire des profs a diminué, en prix constant, entre 2000 et 2011.

Le primaire français gravement négligé

Après ce constat sur les différences de salaires entre pays, ce sont les différences internes à la France qui frappent dans ce document. Elles montrent à quel point nous avons maltraité notre enseignement primaire, par rapport à notre secondaire, en termes de moyens investis. Notre école reçoit 17% de moyens en moins que la moyenne OCDE, alors que nos lycées reçoivent 38% en plus ! Nous avons un ratio de 18 élèves par enseignant dans le primaire, contre 15 élèves en moyenne dans l’OCDE. Mais au lycée, c’est l’inverse : le ratio est de 10 élèves par prof (ce qui ne veut bien sûr pas dire 10 élèves par classe) contre 14 en moyenne dans l’OCDE.
Contrairement à de nombreux pays, la France présente un déséquilibre flagrant dans la répartition des dépenses d’éducation entre le primaire et le secondaire", accuse sévèrement l’OCDE dans sa fiche "France".
Ainsi quand on se désole qu’un jeune sur cinq débarque au collège sans savoir lire, écrire et compter, il faut comprendre tout simplement qu’on paye cash le choix historique d’avoir négligé notre primaire. Grâce au SNES, le tout puissant syndicat du secondaire, les moyens sont allés beaucoup plus à nos lycées et collèges qu’à notre école... Le différentiel se retrouve dans le montant de la dépense annuelle par élève : la France est 21e sur 34 pour le primaire, mais seulement 10e dans le secondaire. Sauf que les collèges et lycées aimeraient sûrement accueillir des jeunes qui savent lire, écrire et compter. On dépense en redoublements dans le secondaire de grosses sommes qui auraient pu être économisées si on avait rendu le primaire plus performant.

L’impact des syndicats du secondaire

Pourquoi la dépense par élève est bien plus grande dans le secondaire ? Parce que les charges des enseignants n’ont rien à voir : dans le primaire, un prof fait 25 heures par semaine, alors que dans le secondaire c’est 18h pour un prof certifié et 15h pour un agrégé. Il faut donc beaucoup plus de profs dans le secondaire. Certes ils ont des copies à corriger, et on sait que leur temps de travail est plus proche des 35 à 40 heures. Il n’empêche : historiquement, les syndicats semblent avoir préféré que notre secondaire ait beaucoup de profs mal payés - parce que faisant moins de présence dans l’établissement - plutôt que moins de profs mieux payés car plus présents, comme en Allemagne.
Un tel déséquilibre de moyens entre primaire et secondaire est choquant alors que dans un tiers des pays de l’OCDE il n’y a pas de différences de traitement entre les profs de ces deux secteurs. Commentaire de l’économiste Eric Charbonnier, expert des questions d’éducation à l’OCDE : "Rester en France  [dans cette situation] revient à considérer que les métiers d’enseignants sont complètement différents entre le primaire et le secondaire. Est-ce vraiment le cas ?"

Et pourtant, une des meilleures maternelles du monde

Quel dommage que notre primaire ait ainsi été négligé, car chez nous, les choses démarrent très bien pour les tous petits : nous avons une des meilleures maternelles du monde. Nous sommes 2e sur 36 pays pour le taux de scolarisation des enfants de 3 ans, et 4e pour la scolarisation des enfants de 4 ans. Souhaitons que nous sachions en tirer profit comme les Allemands : "Un des grands axes de la réforme en Allemagne a consisté à renforcer l’apprentissage de la lecture dès la maternelle", souligne Eric Charbonnier. Pour lui, les réforme actuelles en France vont dans le bon sens, à condition de pousser leur logique jusqu’au bout : "Changer les rythmes n’aura d’effet que si l’on agit simultanément sur les méthodes pédagogiques. Créer des primes dans les ZEP c’est très bien, mais il faut que cela s’accompagne de la création de postes d’éducateurs aidant les profs et de la constitution de vraies équipes pédagogiques soudées et durables dans le temps."
Il est clair que tout cela coûte cher, plus que les 300 millions du plan ZEP. C’est sans doute grâce à une rationalisation de la machine éducative qu’on pourrait dégager de gros moyens, comme on l’avait évoqué ici. Car même si, en pourcentage du PIB, notre dépense d’éducation n’est pas dans les meilleures, elle n’est pas non plus calamiteuse, avec 6,3% du PIB, nous sommes dans la moyenne de l’OCDE: 16e sur 33 pays.
Patrick Fauconnier - Le Nouvel Observateur

http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20140221.OBS7316/comment-la-france-a-sacrifie-son-ecole-primaire.html