Exigeant la compensation intégrale des dépenses
engagées par les communes pour les nouveaux rythmes scolaires, l’AMF pointe
toutes les contradictions de la réforme des rythmes.
En cette rentrée 2015, une colère sourde gronde chez les élus locaux. Publiés le 18 août dernier,les textes pérennisant l’aide financière de l’Etat aux communes
pour organiser des activités périscolaires entérinent certes la transformation
du fonds d’amorçage en fonds de soutien. C’est donc une victoire pour les
collectivités, Association des maires de France en tête.
Mais le compte n’y est pas, estime cette dernière, dans un communiqué de
presse du 28 août. Avançant un coût global de 1 milliard d’euros pour les
collectivités, l’AMF exige dorénavant la compensation à l’euro près des dépenses
engagées par les collectivités pour appliquer la réforme des rythmes. Or, le
fonds de soutien plafonne à 400 millions d’euros.
« Non seulement, c’est insuffisant, mais ce fonds n’est pas réparti
équitablement. Les 40 euros supplémentaires visent les communes les plus en
difficultés, certes, mais, au final, ce sont toutes les communes qui éprouvent
des difficultés dans l’application de la réforme », explique Agnès Le Brun,
maire de Morlaix (LR) et rapporteure de la commission Education de l’AMF.
Or, l’octroi du fonds de soutien s’effectue, sans discrimination – ni
contrôle -, à toutes les collectivités dotées d’un projet éducatif de territoire
(PEDT). Sans tenir compte, donc, des situations locales : « Avec la nouvelle
méthode de carroyage, Morlaix est, par exemple, sortie de la géographie
prioritaire. Pour maintenir son action en réussite éducative, la commune
compense le désengagement de l’Etat. Au final, nous subissons une double peine,
car seules les communes fléchées comme étant les plus en difficultés perçoivent
les 40 euros supplémentaires. Nous avons l’impression d’être punis par où nous
avons réussi ! »
Question de sens
Mais l’ire de l’AMF traduit-elle uniquement l’inquiétude des collectivités,
prises en étau entre des dépenses croissantes et la baisse drastique des
dotations d’Etat ? L’énumération, par Agnès Le Brun, des paradoxes créés par la
réforme des rythmes scolaires tend à indiquer un malaise de fond. « Qu’est
devenu le sens de la réforme des rythmes ? », semblent ainsi questionner les
élus locaux. « La réforme aboutit à organiser une concurrence entre l’école
publique et l’école privée, car cette dernière conserve un mercredi chômé et
devient attractive pour certaines familles », avance l’élue bretonne. Qui
poursuit :
La réforme des rythmes scolaires repose sur l’idée qu’il faut rendre l’école
plus juste, grâce aux NAP. Mais l’égalité n’est pas l’équité. A la rentrée 2015,
nous constatons que, sur les 24 000 communes dotées d’au moins une école, près
d’une sur deux a pris le parti de demander une participation financière aux
familles. Ces dernières se retrouvent alors prises en otage : soit les enfants
fréquentent les NAP, et il leur faut faire face à des dépenses non budgétées,
soit il revient aux familles de trouver un mode de garde.
La multiplication des NAP payantes inquiète d’ailleurs fortement
l’Association nationale des directeurs de l’éducation des villes (Andev), qui, à
l’instar de la FCPE, souligne les inégalités sociales ainsi créées : « les NAP
offrent une complémentarité aux apprentissages scolaires. Les faire payer
revient à écarter les familles les plus modestes d’une opportunité éducative et
creuse ainsi les inégalités entre les familles car, au final, seules celles qui
en ont les moyens mettront leurs enfants en NAP », analyse ainsi Anne-Sophie
Benoit, présidente de l’Andev.
Pour finir, ce sont sans doute les interrogations soulevées par Agnès Le Brun
sur la faisabilité de la continuité éducative entre les temps scolaires et
périscolaires, évoquée par le ministère de l’Education nationale, qui posent le
débat : « qui pourrait s’opposer au principe de continuité éducative ? Il évoque
une idée de cohérence. C’est intéressant, sur le papier. Mais ne se
retrouve-t-on pas, comme dans le numérique, avec des maires priés de prendre les
achats et la maintenance en charge, sans pouvoir jamais procéder à l’évaluation
de l’utilisation du matériel ? », s’interroge l’élue bretonne, évoquant, de
fait, la question du partage des compétences entre l’Etat et les collectivités
en matière d’éducation.
« Tout ceci manque de concertation. Si la ministre de
l’Education souhaite la continuité éducative, il faut s’en donner les moyens »,
conclut la représentante de l’AMF
Source: Lagazettedescommunes.fr Publié le Par Stéphanie Marseille
Un an après sa généralisation – et les polémiques qui l’ont entourée – il faut bien reconnaître que la réforme des rythmes scolaires fait peu parler d’elle en cette rentrée. Si l’« apocalypse » prédite par certains (guerre ouverte entre enseignants et animateurs, équilibres familiaux rompus, enfants laissés sur le carreau…) ne s’est pas vérifiée – ou alors pas durablement –, beaucoup de parents et enseignants conservent le sentiment d’une réforme obtenue à marche forcée. Une réforme qui n’est pas tout à fait la même partout sur le territoire, et qui reste à stabiliser : les changements dans les activités proposées d’une année sur l’autre (quand ce n’est pas d’un jour sur l’autre), les hausses de facture constatées, ici ou là, en dépit de l’aide aux communes apportée par l’Etat (désormais « pérennisée ») n’aide pas à y voir clair. Mais c’est surtout l’intérêt pédagogique des organisations proposées qui laisse plus d’un observateur de l’école songeur.
Beaucoup de questions. Nos 6,8 millions d’écoliers y gagnent-ils vraiment avec cette demi-journée d’école en plus mais avec un agenda à peine (voire pas) allégé ? La promesse d’un retour à la semaine de quatre jours et demi est-elle vraiment tenue quand, comme ont choisi de le faire des centaines de villes – dont Marseille –, c’est le vendredi après-midi qui est consacré aux ateliers périscolaires ? Quel impact avéré sur les rythmes biologiques des enfants ? Quels bénéfices sur leurs apprentissages ?
Il suffit d’allumer le micro pour que même le parent d’élève le plus favorable à la réforme défendue, il y a deux ans par l’ancien ministre Vincent Peillon, émette des réserves. D’autant que la promesse d’une réorganisation plus globale du temps scolaire – à l’école mais aussi en collège et lycée – est, elle, restée lettre morte… ou presque. La seule évolution visible en 2015-2016 porte sur l’anticipation des vacances de printemps. Au bénéfice des lobbys du tourisme plus que de l’enfant.
Deux évaluations. En guise de réponse, ce sont deux protocoles d’évaluation que le ministère de l’éducation a promis : une étude sur 15 000 élèves entrés au CP en 2011, « intégrant des évaluations cognitives en français et en mathématiques en fin de CM2 » et une autre portant sur un échantillon de 5 000 élèves de cinq villes répartis sur des modes d’organisation « représentatifs », pour comparer l’impact de ces derniers. Une troisième recherche doit cibler une académie, en s’attaquant à la question de la fatigue des écoliers. Les écoles et les classes sur lesquelles ces enquêtes porteront doivent être sélectionnées ce mois-ci, on ne connaît pas plus en détail l’échéancier.
Une kyrielle de chiffres. En attendant, la mise en place des nouveaux rythmes se résume à quelques chiffres. Vingt mille villes ont un recul d’un an sur la réforme, quand 4 000, qui avaient sauté le pas dès la rentrée 2013, en ont deux. Si 86 % appliquent le décret Peillon (9 demi-journées de 3 h 30 au maximum par semaine), 14 % bénéficient de l’assouplissement consenti par le « décret Hamon » qui leur a permis, notamment, de concentrer l’ensemble des activités périscolaires sur un seul après-midi. Lyon et une quinzaine de grandes villes avaient fait ce choix en 2014, mais la très grande majorité des communes concernées sont de petite taille, en milieu rural.
Une norme ? Selon un bilan d’étape communiqué par la Rue de Grenelle, le 25 juin 2015, la semaine de quatre jours et demi est bien redevenue la norme, avec, majoritairement, un retour à l’école le mercredi matin. Vincent Peillon avait donné aux villes la possibilité, sur dérogation, de rétablir le samedi matin travaillé (comme avant la réforme Darcos de 2008), mais cela concerne de moins en moins d’écoliers : 2,3 % en septembre 2015, contre 5,5 % l’an dernier. D’une rentrée sur l’autre, seulement 6 % des villes ont revu leur emploi du temps – dont Marseille. En revanche, la très grande majorité (plus de 8 communes sur 10) a fait le choix d’un projet éducatif territorial (PEDT) qui pousse enseignants, élus et associations à travailler de concert.
Des activités à la pelle… et à des coûts variés. Ces projets éducatifs territoriaux sont un gage d’ateliers de qualité. Pourtant, sur le terrain, la crainte perdure d’une école à deux vitesses. Ou plutôt d’un accueil périscolaire à deux vitesses. Les TAP (pour « temps d’activités périscolaires »), autre acronyme popularisé par la réforme des rythmes, se révèlent très divers d’un territoire à un autre : des activités artistiques et culturelles priment (77 %) selon l’examen des 14 000 premiers PEDT divulgué avant l’été, mais l’on y fait aussi beaucoup de sport (75 %), de l’éveil à la citoyenneté et au développement durable (40,5 %), des ateliers de lecture, de l’informatique, de l’aide aux leçons… et des jeux, beaucoup – jeux collectifs, jeux calmes, jeux de stratégie… Avec un impact financier : les trois heures d’activités périscolaires organisées en plus, chaque semaine, ne sont gratuites que « pour près de la moitié des PEDT », selon le bilan d’étape du 25 juin.