lundi 19 mai 2014

Bal tragique des rythmes scolaires : un enterrement

© Sénat

A trois semaines de la date-butoir imposée aux communes qui utiliseront le décret Hamon pour trouver leur organisation des rythmes scolaires, la bataille des « pros » et des « antis » fait rage. Dernière victime : le rapport de la mission sénatoriale d’information sur la réforme des rythmes scolaires qui vient d'être enterré ce jeudi 15 mai.

Il devait être présenté à la presse jeudi 15 mai : c’est son avis de décès que les rédactions ont reçu, mercredi 14 mai 2014 à 18h. Le rapport issu de la mission sénatoriale d’information sur les rythmes scolaires, mise sur pied à la demande express des sénateurs UMP, a été rejeté par ces derniers. Une première ! Motif ? Ses préconisations sont insuffisantes pour les sénateurs UMP, qui, emmenés par le sénateur de Haute-Savoie Jean-Claude Carle lui opposent cinq exigences (lire encadré).
Vilain vaudeville ?- Ce sont donc six mois de travail, 80 auditions, 5 visites sur le terrain que le rejet du rapport réduit à peau de chagrin. Comme dans les pièces de théâtre de boulevard, l’histoire comporte des répliques cocasses comme l’argument avancé par Catherine Troendle pour expliquer ce rejet : « je voulais être rapporteure et je ne l’ai pas été » ; et un cocu, la rapporteure PS Françoise Cartron, pour qui il existait un « accord tacite entre elle et la présidente UMP » de la mission.
L’indignation et l’incompréhension de la rapporteure sont d’autant plus grandes que les 18 préconisations ont été écrites avec Catherine Troendle et validées par les sénateurs et que la rapporteure PS avait proposé aux sénateurs UMP d’adopter le rapport en lui adjoignant leur propre contribution.
Françoise Cartron s’insurge : « M.Carle soutient aujourd’hui que la réforme n’a jamais fait l’objet de débats au parlement. Or, nous avons tous les P.V. des débats à l’Assemblée nationale liés à l’article 47 de la loi de refondation. Il nous annonce déposer une loi pour permettre le libre-arbitre des maires mais elle a déjà été déposée le 21 janvier, débattue et rejetée. »
Avis de tempête - Publié tambour battant pour débloquer des situations inextricables dans le cadre du décret Peillon, le décret Hamon du 9 mai 2014 n’en finit pas, de son côté, de créer la polémique.
Pour plus d’un, les assouplissements auxquels il ouvre la porte vident la réforme de son contenu. Inauguré jeudi 15 mai, l’ORTEJ résume ainsi les critiques et les inquiétudes portées notamment par l’Andev et la FCPE : « le but de la réforme des rythmes scolaires, c’est la qualité de vie et des apprentissages de l’enfant. Or, on n’est pas dans cet esprit-là. Tout le monde va s’engouffrer dans le vendredi après-midi libéré », déplore François Testu, chronobiologiste. Les membres de l’ORTEJ craignent de voir revenir la semaine de 4 jours et la fin du « 7+2 ».
De son côté, l’association Ville et banlieues s’interroge sur les conditions d’application de la réforme dans des villes aux finances précaires et aux populations en grande difficulté. Mais sur le terrain, les maires opposés à la réforme campent sur leurs positions, brandissant une argumentation juridique douteuse (un décret n’a pas force de loi, sa non-application n’entraîne aucune sanction). Et appellent à une manifestation devant le ministère de l’Education nationale le 24 mai prochain.
De son côté, le SNUIPP, l’un des syndicats enseignants majoritaires dans le primaire, interroge le lien systématiquement établi entre les rythmes scolaires et la réussite des enfants. Dans un communiqué de presse, le syndicat estime que « tout n’est pas qu’une affaire de rythmes » et appelle à revisiter les priorités dans les réformes touchant l’école : soit, à se concentrer sur les « conditions d’apprentissages des élèves et les conditions de travail des personnels » d’abord, et sur les rythmes, après.
Dans ce contexte, pour Françoise Cartron, ses collègues UMP ne sont, ni plus, ni moins, que des « fossoyeurs de l’école publique ». A ses yeux, ils ont privé les maires d’un levier pour établir un rapport de force intéressant : « les rapports existent pour créer des rapports de force avec les ministères. Celui-ci aurait pu établir une dotation dédiée et changer les modalités de gestion de la CAF. Les sénateurs UMP ont pris une grande responsabilité envers les maires, qu’ils privent d’une piste d’amélioration ».
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Rapporté au budget total d’une commune, le coût de la réforme peut sembler ridicule

Discrètement, l’AdCF saluait, le 12 mai 2014, les assouplissements introduits par Benoit Hamon, tout en exhortant « au maintien du principe de généralisation de la réforme et (au) respect de la loi républicaine ».
Dans un communiqué de presse, l’association estime que « la péréquation financière, la coopération intercommunale et la mutualisation des services supports seront certainement plus décisives pour réduire (les) disparités que le seul ciblage, très difficile à organiser, du fonds d’amorçage ».
La question des coûts motive aussi en partie le collectif des maires contre la réforme et le rejet du rapport par les sénateurs UMP. Françoise Cartron entend préciser les choses : « Oui, quand une commune n’a pas encore de cantine ou d’accueil périscolaire des enfants, et qu’il faut tout créer, ça coûte cher. Dans les villes qui ont déjà des activités en place, ça l’est beaucoup moins ».
Elle pointe du doigt la disparité des réponses reçues par la mission d’information : « parfois, on ne nous a pas répondu en termes de surcoût dû à la réforme, on nous a donné une réponse qui englobait tout le périscolaire ».
Elle rappelle surtout qu’il faut mettre le coût d’application de la réforme des rythmes en perspective avec le budget d’une commune : « le coût réel de la réforme des rythmes scolaires, c’est 0,5 ou 0,7% du budget d’une commune ». Un ordre de grandeur qui rappelle celui que la commune d’Aubervilliers avait calculé en 2013 et communiqué à la Gazette des communes.
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18 préconisations d’un côté, 5 exigences de l’autre

Selon la rapporteure PS de la mission d’information, Françoise Cartron, ses 18 préconisations tentent de répondre aux trois grandes difficultés soulevées par la mise en oeuvre de la réforme des rythmes : son financement, les relations avec la CAF et l’organisation des activités périscolaires.
Ces préconisations ambitionnent ainsi un « choc de simplication » des procédures imposées aux communes pour financer la réforme au travers d’un guichet unique. Elles visent la création dans la loi de finances, d’une « dotation de compensation de la réforme des rythmes scolaires, ayant un caractère pérenne ».
Elles balayent les exigences de formation commune des agents territoriaux et des personnels de l’Education nationale, l’alignement des taux d’encadrement allégés à tous les temps périscolaires, un recours facilité au samedi matin, l’exigence de différencier la réforme en maternelle et en élémentaire.
Les cinq exigences des sénateurs UMP sont :
  1. Moratoire d’un an
  2. Garantir une compensation financière pérenne liée au coût réel de la réforme
  3. Laisser aux maires le libre choix de l’organisation du temps scolaire des écoles publiques
  4. Donner l’accès aux heures supplémentaires années aux enseignants du premier degré
  5. A l’initiative du conseil d’école, utiliser les heures d’enseignement périscolaires pour venir en aide aux enfants les plus en difficulté.
Nul doute que la formulation-même de ces exigences suscitera, à son tour, bien des interrogations.

Source : lagazettedescommunes.com publié le 15/05/2014  par Stéphanie Marseille