mercredi 17 juin 2015

Les nouveaux temps scolaires ont-ils vraiment trouvé leur rythme de croisière ?

  NAP   
© F. Maigrot / REA
A entendre le ministère de l'Education nationale, la réforme des rythmes scolaires, généralisée à la rentrée 2014, n'est plus un sujet. Deux récentes enquêtes, l'une menée par Villes de France, l'autre par un syndicat d'inspecteurs de l'Education nationale du primaire, montrent que sur le terrain les difficultés identifiées depuis le début de la concertation sont loin d'être réglées. Elles sont financières, organisationnelles, pédagogiques...
Le ministère de l'Education nationale n'a pas daigné se féliciter des quatre arrêts prononcé par le Conseil d'Etat, le 27 mai dernier, confirmant la légalité des décrets sur l'organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires. La haute juridiction administrative a considéré que la réforme des rythmes n'entraînait nullement "un transfert de compétences" de l'Etat aux communes et qu'elle ne portait pas "une atteinte illégale" au principe de libre administration des collectivités territoriales (ainsi qu'elle l'avait déjà dit dans un arrêt concernant les communes de Fournels et de Janvry, voir l'encadré à notre article du 7 janvier 2015).
Si au regard du droit il n'y a pas eu "transfert de compétences", au regard des communes, il y a bien eu à gérer l'organisation et le financement des activités périscolaires découlant de la réforme. Réalisée au mois d'avril sur une base de 55 villes représentatives du réseau des Villes de France (ex-Fédération nationale des villes moyennes), une enquête montre que "toutes les villes connaissent un impact important au niveau de leur financement" et les trois quarts interrogées dans le cadre de l'enquête ont rencontré des difficultés dans le recrutement des animateurs.

Financer le surcoût de 184 euros

Le coût moyen de ces activités périscolaires supplémentaires s'élève à 184 euros par élève. La moitié des villes déclarent que le surcoût représente entre 10% et 30% de leur budget antérieur consacré aux activités périscolaires. Pour 7% des villes, le surcoût dépasse les 50%. 19% des villes annoncent un surcoût inférieur à 10%.
Pour faire face, et/ou par principe, 36% des villes sollicitent une participation des familles. Elle est le plus souvent calculée sur le quotient familial (c'est le choix de 74% des villes), mais 16% choisissent la formule du tarif unique et 10% celle du forfait. Etonnamment, les villes qui ont des écoles en éducation prioritaire font plus souvent payer les familles (38%) que les autres (31%).
71% des villes ne prévoient pas de cantine scolaire le mercredi (*).
31% des villes interrogées n'ont pas monté de dossier de subvention auprès de la CAF. "Les raisons sont le plus souvent liées aux contraintes portant sur les taux d'encadrement et les taux de qualification des animateurs ainsi que la complexité des critères demandées au regard des contraintes rencontrées sur le terrain (direction des structures, turn-over des animateurs, non reconnaissance de certains diplômes...)", commente l'association d'élus.
La réforme des rythmes scolaires a entraîné des surcoûts dans les transports scolaires pour 60% des villes. Les surcoûts varient d'une ville à l'autre mais 43% des surcoûts se situent entre 10% et 30% du budget "transport scolaire" avant réforme. Lorsqu'il y a surcoût, il est financé à 42% par les communes seules, à 25% par l'EPCI seul et à 21% par le conseil départemental seul. Parfois les communes s'allient avec leur EPCI (6% des cas) ou avec le conseil départemental (2%). Dans 4% des cas, le surcoût est assuré par l'EPCI et le conseil départemental.

Assurer le recrutement des animateurs

89% des villes interrogées ont mobilisé des agents communaux pour la mise en œuvre des activités périscolaires. Et 57% ont envoyé en formation ces agents communaux.
L'enquête met également en lumière les difficultés des collectivités à recruter des animateurs. Seulement 26% des villes interrogées n'ont rencontré aucune difficulté, mais 35% ont rencontré des difficultés à la fois quantitative et qualitatives. En cause : "des contrats peu attrayants", reconnaît l'association d'élus, "notamment à cause du faible nombre d'heures et de leur caractère précaire". "Sur les territoires ruraux s'ajoute le problème des déplacements sur le lieu de travail, très préjudiciable au regard du temps très partiel des contrats. En résulte un faible nombre de candidats dont la qualification convient aux postes proposés." L'association pointe également "un manque de candidatures, dû à l'assèchement de l'offre", dans la mesure où "les villes ont recruté aux mêmes moments sur les mêmes bassins d'emplois, entraînant même parfois une concurrence entre les villes d'une même agglomération". Elle note également que "les villes non universitaires ne disposant pas d'un même gisement d'étudiants ont été particulièrement mises en difficulté".

Mettre en œuvre les activités

"Le turn-over des animateurs rend difficile de mettre en œuvre une réelle continuité dans le contenu des activités", regrette également l'association d'élus, montrant ainsi son intérêt pour le contenu pédagogique des activités périscolaires. Elle pointe ainsi le "manque de support pédagogiques et de formations spécifiques à destination des animateurs".
Elle rend compte de la préoccupation, pour les communes, de "proposer des activités cohérentes qui intéressent les enfants sur un temps très court", d'"arriver à captiver l'attention des enfants, et notamment des plus jeunes, tout en gardant un contenu construit et ludique" ou encore de "trouver un sens commun entre les programmes scolaires et les activités périscolaires". L'enquête est également l'occasion de revenir sur la "pénurie de locaux et de lieux d'accueil appropriés aux activités".
Sur le contenu des activités, l'enquête fait apparaître que 74% des activités périscolaires intègrent des activités autour des valeurs républicaines, de citoyenneté, et de vivre ensemble. Et 85% des villes estiment "être parvenues à un consensus satisfaisant avec les parties prenantes sur les programmes adoptés". 56% ont été satisfaites du niveau d'accompagnement de la part des académies (elles ne sont en revanche que 46% à l'être concernant l'accompagnement du ministère de l'Education nationale et des préfectures).

Des inspecteurs de l'Education nationale discrédités dans leur fonction pédagogique ?

Dans les académies, nombre d'inspecteurs de l'Education nationale (IEN) estimeraient que les activités périscolaires s'apparentent à des "activités occupationnelles porteuses de faibles enjeux d'apprentissage". C'est sévère, mais c'est ce qui ressort d'une enquête réalisée par le SNPI FSU, second syndicat d'inspecteurs du primaire. S'exprimant devant l'inspection générale de l'Education nationale sur "l'efficacité pédagogique de la réforme des rythmes", le 18 mai dernier, il a dénoncé "une montée du pouvoir des maires sur l'école" et "le discrédit jeté sur leur fonction par la réforme". "On ne peut conclure aujourd'hui que la réforme des rythmes a eu un impact positif déterminant sur la réussite des apprentissages. Son ambition était justifiée mais sa mise en œuvre n'a pas permis de garantir des organisations favorables à ses finalités", selon le syndicat.
Cette enquête "ne peut évidemment avoir la prétention d'une enquête auprès de l'ensemble des inspecteurs puisqu'elle traduit certainement une sensibilité particulière des adhérents du SNPI", admet Paul Devin, secrétaire général du syndicat, ajoutant aussitôt que "les nombreuses réactions que nous avons pu avoir depuis sa parution témoignent qu'elle a recueilli un large assentiment dans la profession".
La profession aurait ainsi eu à faire à des situations très  différentes, durant la phase de concertation sur la mise en oeuvre des rythmes scolaires et son suivi. Dans certaines communes les relations entre élus locaux et IEN étaient "régulières et loyales", avec des élus qui "manifestaient leur volonté de prendre en compte l'ensemble des paramètres et de se conformer au cadre réglementaire". Dès lors, la qualité des relations s'est même trouvée renforcée, se félicite le syndicat.

"Une montée du pouvoir des maires sur l'école" ?

Mais dans d'autres communes, les IEN ont ressenti une "pression politique exercée par les élus, qu'ils aient souhaité mettre en œuvre rapidement la réforme ou au contraire y résister". "Dans de nombreux départements, les interventions des Dasen ont incité les IEN à (...) se consacrer à la défense des projets municipaux", s'insurge le syndicat, même lorsque l'intérêt pédagogique n'était manifestement pas au rendez-vous. Au final, "plusieurs IEN expriment le sentiment que la réforme des rythmes leur semble avoir accrédité chez les maires une représentation de leur pouvoir sur l'école au-delà de leurs prérogatives légales".
Dans les écoles, "l'aménagement des rythmes a exacerbé des problèmes de relation entre temps scolaire et temps périscolaire", si bien que nombre d'IEN constatent "la multiplication des conflits entre enseignants et animateurs". Pour l'essentiel, ils seraient "la conséquence d'un allongement de la pause méridienne sans une réelle capacité d'y organiser un encadrement de qualité. L'effort de recrutement et de formation engagé par la plupart des municipalités ne semble pas parvenir à résoudre ce problème qualitatif". Deux motifs seraient régulièrement invoqués : le partage des locaux et du matériel et la "grande difficulté à harmoniser les règles et les exigences entre les temps scolaires et périscolaires".
Certaines communes ont fait le choix d'une liaison, "que ce soit par des réunions de concertation ou par une prise en compte conjointe des temps de passage de l'un à l'autre", se félicite le syndicat, en regrettant que ce ne soit pas la norme. Car dénoncer le pouvoir grandissant des maires sur l'école, n'est-ce pas une autre manière de reposer le débat de la co-compétence scolaire entre l'Etat et les collectivités ?

Valérie Liquet
 
(*) La demi-journée du mercredi ayant été choisie comme demi-journée travaillée pour 100% des villes ayant répondu à l'enquête


Source : http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250269056492&jid=1250269089098
Publié le mardi 16 juin 2015

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